L’analyste
comme sinthome
Dans la perspective du
prochain Congrès de l’AMP sur le thème, proposé par Jacques-Alain Miller, de L’inconscient et du corps parlant,
comment saisir, comment attraper l’expérience du contrôle, du point de vue de
ce corps parlant ?
Il arrive en effet que
des affects – l’embarras, l’inquiétude, le souci – encombrent l’analyste dans
son acte, sans qu’il s’en aperçoive. Et il n’est pas rare que ce soit lors du
contrôle, dans le moment même du récit du cas qu’il fait à son contrôleur, que
cela lui soit révélé, lorsque le corps parlant de l’analyste, en tant que parlêtre, se manifeste comme affecté par
la langue.
C’est alors ce corps
affecté que l’analyste découvre qu’il apporte au contrôle, et c’est cette
découverte qui va lui servir de boussole pour rectifier son acte.
Lors de la première
soirée de la Commission de la Garantie à l’ECF le 2 décembre 2014, Esthela
Solano a souligné que c’est bien souvent l’empathie, la compréhension, la
solidarité discrète avec son patient, qui peuvent, malgré lui, entraîner
l’analyste dans ce qu’elle appelait finement « les embrouilles de la
mentalité ».
De son côté, Marie-Hélène
Brousse a évoqué la position d’aveuglement dans laquelle peut se trouver, à son
insu, l’analyste face à certains patients, et comment le contrôle peut le
dégager de cette position, dans une sorte de réveil.
Il se trouve que ces
affects, ces embarras, ces vibrations du corps de l’analyste, peuvent survenir,
par exemple, lorsque l’analyste parle à son contrôleur d’une adolescente qui
peine à trouver sa place au sein d’une constellation familiale trop
symptomatique, et qu’elle risque de s’en éjecter trop violement ; ou bien
lorsque ce même analyste lui parle, en contrôle donc, d’une patiente dont l’enfant s’est lui-même
mis en danger vital, et qu’elle a ainsi failli le perdre.
Dans ces deux cas, il est
apparu qu’à un moment tout à fait imprévu du contrôle, la voix de l’analyste en
contrôle a vibré d’une façon telle que l’émotion s’y est entendue.
L’analyste contrôleur a
alors pratiqué, sans rien dire, des séances de plus en plus courtes. Et il s’est
avéré que ces coupures répétées dans le récit du cas, ont permis une
rectification de la position de l’analyste qui a dès lors cessé, par exemple,
de s’intéresser à l’enfant symptôme d’un
autre corps, et a pu ainsi s’interposer dans cette jouissance en trop de sa
patiente avec son enfant. Par exemple, en trouvant les mots qu’il fallait, pour
qu’elle consente à le conduire chez un autre psychanalyste avec lequel, à
l’occasion elle pourrait s’entretenir de son enfant.
À partir de cette expérience,
c’est précisément à ce prix-là, celui de
la coupure du contrôle, qu’un bon usage du sinthome
est devenu possible, au sens où l’analyste, ainsi que J.-A. Miller l’indiquait
dans son Cours « Choses de finesses… » du 17 décembre 2008, peut
ainsi devenir lui-même un sinthome
pour son analysant. Pour cela, disait-il, il lui faut « savoir jouer à
l’événement de corps ou au semblant de traumatisme », tout en s’y
soustrayant, afin que, par ce sacrifice de jouissance, il devienne lui-même,
pour son patient, un bout de réel. Jouer tout en refusant la jouissance du jeu,
en quelque sorte.
C’est un sacrifice, un
sacrifice de jouissance, car, lorsque
nous sommes touchés, émus, par le dire de l’autre, le phallus est dans le coup,
notait encore J.-A. Miller.
Et c’est cet en-trop de signification phallique que
l’expérience du contrôle peut alors être amenée à réduire.
De la même façon, soulignait-il,
pour que sa parole acquière de la puissance, pour qu’elle puisse être « créationniste »,
il faut que l’analyste en contrôle apprenne à se taire. Il faut que sa parole
soit rare afin qu’elle puisse porter, afin qu’elle puisse retenir l’attention
du patient, même si, comme Lacan l’a indiqué dans son texte sur l’esp d’un laps (« Introduction à
l’édition allemande des Écrits », page 571 des Autres écrits), quand on y porte attention, à sa parole, on n’est
plus dans l’inconscient.
Or, pour parvenir à cette
rareté de la parole, il faut, me semble-t-il, dans sa propre analyse, s’être
soi-même distancié du sens, du trop de sens qui affecte le parlêtre et supporter le réel qui, dès lors, surgit de cette
distance, de ce hiatus entre l’inconscient et le sens, sans plus s’en défendre
par aucun affect du corps parlant.
Ainsi, l’analysante dont
l’enfant était en danger, s’est-elle mise à parler de son corps à elle, de son
corps de femme que, par ailleurs, elle rejetait, un corps marqué lui-même par
la jouissance perverse d’un autre qui avait fait événement de corps dans son
enfance. Le rejet de cette jouissance traumatique s’était dès lors déplacé vers
le rejet de son enfant, répétant ainsi la malédiction familiale sur plusieurs
générations.
Le point vif serait alors,
me semble-t-il, que l’analyste parvienne, par l’intermédiaire du contrôle, à
obtenir de lui-même qu’il se désiste de toute intention, qu’il se fasse, comme
le formulait J.-A. Miller dans son Cours du 11 mai 2011, « plus humble ».
Pour aller au-delà du
désir de l’analyste qui, dès lors, serait encore un en-trop, il s’agirait alors de savoir se faire soi-même sinthome de son patient. Dans une sorte
d’ascèse, de « tao de l’analyste », ainsi qu’Éric Laurent
l’avait indiqué dans son commentaire mémorable de Lituraterre, au Cours de J.-A. Miller sur « L’expérience du
réel dans la cure analytique », il s’agirait, en fait, savoir se tenir à
sa place, là où il y a eu rupture, là où il y a eu cassure. Savoir, donc, se
tenir là, à la place du sinthome, de
l’irréductible du sinthome, du trait
du Un qui se réitère, mais pour un autre que soi !
C’est à la lumière de
cette nouvelle perspective que l’on pourrait aussi relire la proposition de
Jacques Lacan au sujet de l’acte analytique (je cite) :
« C’est
à la limite de l’incurable du sujet que l’analyste s’offre à reproduire ce dont
il a été délivré », dans cette destitution subjective où il tempère, où il
se soustrait de toute passion, de tout affect, au-delà, donc, de la crainte et
de la pitié, jusqu’à lui-même « produire cet incurable ».
Lacan
appelait cela « avoir fait de la castration sujet », là où l’analyste
saurait se faire la clé de la jouissance perverse de son patient, mais pour
qu’elle soit inefficace et pour, cette clé, « savoir la retirer ».
L’expérience du contrôle
serait ainsi l’occasion de rappeler à l’analyste qu’il a à se garder de quelque
chose, se garder de comprendre quelque chose, de répondre à quelque chose, de
vibrer trop aux mots qu’il entend.
Car, disait encore Lacan,
le drame de l’analyste serait d’en être affecté masochistement, au risque, donc, d’être maltraité par ses patients.
Alors, et pour conclure
sur ce qui nous occupe aujourd’hui de l’expérience du contrôle, il me semble
que, dans cette expérience réitérée de la coupure au cours de la séance de
contrôle, il se peut, à l’occasion, se toucher ceci que, oui, l’analyse est une
pratique sans valeur telle que Lacan y aspirait, mais c’est pour la simple
raison que c’est, en fin de compte, la langue qui affecte le corps du parlêtre. Et cela peut devenir, à
l’occasion du contrôle, la seule clé qui vaille, son réel même, inévaluable
donc.