Le témoignage public est, dans l’École, réservé aux AE en exercice en
tant qu’il est paradigmatique et qu’il se légitime d’une performance reconnue
par un jury à travers un passeur. Ceci évite que tout un chacun n’y aille de
son témoignage de ce qui a fait pour chaque analyste son incontournable
expérience analytique. C’est aussi que la passe est le contrôle qui s’impose à
la définition lacanienne du psychanalyste.[1]
Qu’attendent les instances de l’École si ce n’est l’intranquillité
qu’elles sèment ainsi chez ceux que l’Ecole reconnaît comme relevant de sa
formation. Quand Jacques-Alain Miller avait invité les analystes à parler de
leurs analyses, il avait levé cette restriction concernant le témoignage dans un geste politique : « Il est
temps que l’on prenne à partie les psychanalystes, qu’on les secoue, qu’on les
somme de s’expliquer, de se montrer, de se battre un peu pour leur pain, alors
qu’ils sont tous à vivre d’une rente de situation que leur vaut de se
recommander d’un Freud ou d’un Lacan. »
Non identifié au « praticien chevronné », j’ai accepté que
l’École m’interpelle pour dire ce qui a justifié la poursuite d’une pratique du
contrôle. J’ai toujours été sensible au fait que Lacan, qui ne contestait
jamais le titre d’analyste à ceux qui s’en revendiquaient dans quelque
institution analytique que ce soit, ne considérait pas pour autant qu’il assure
d’authentiques effets analytiques.
Le contrôle peut prendre toutes les formes, du contrôle de cas à
l’interrogation diagnostique aux conditions d’engagement du transfert. Il porte
aussi sur la manière dont le transfert reste le vecteur vivant de l’analyse, aussi
bien en s’y opposant quand il fait obstacle à la cure elle-même. Reconnaitre
pour la contrer ou la tempérer la pente érotomaniaque d’un transfert reste une
condition pour diriger l’expérience analytique de sujets psychotiques sans les
conduire à une catastrophe.
Un premier contrôle auprès de mon analyste avait accompagné le chemin de mon entrée dans
la pratique. L’analyse nourrissait mon activité de médecin puis de psychiatre,
elle était depuis longtemps mon horizon. Les difficultés de l’analyse – la
force du symptôme et sa résistance à l’interprétation – avaient reporté le
moment d’une pratique analytique comme telle que je considérais toujours
prématurée. Rhinocéros sans doute, pour citer Lacan, angoissé assurément, ce
qui d’après lui n’était pas la plus mauvaise entrée dans la pratique. Sans
aucun doute un désir de bien faire, de mener l’analyse là où elle vous porte à
changer de place, sans forçage. Le premier temps de contrôle fut celui d’une
pratique de psychanalyse appliquée à la clinique et à la thérapeutique. Temps
aussi de faire le départ entre la demande qu’on attribue à un autre qui ne
demande que de bons soins et celle qui suppose un savoir et permet un
transfert.
Répondant à l’appel de Lacan en 1980, décidé à suivre l’orientation que
donnait Jacques-Alain Miller à l’aventure du Champ freudien, de sa Section
clinique et de l’École, parce qu’elle
était la seule susceptible d’assurer l’avenir de la psychanalyse, vint le temps
de la fin de l’analyse, temps qui n’a rien d’instantané, qui peut même durer
avant qu’une certitude s’impose et qu’elle se chiffre.
Cette dimension politique est solidaire de l’expérience et je trouvais
la nécessité d’un second contrôle qui
accompagna mon engagement dans la pratique de la psychanalyse. La visée
politique ne fut jamais absente du contrôle, au sens où je n’ai jamais conçu la
pratique de l’analyse comme déconnectée des institutions qui forment les
psychanalystes et la garantissent. Des questions sur les choix que cela
supposait ont pu trouver leur place dans ce contrôle sans que, d’aucune
manière, j’eus l’idée de parler d’autre chose que de ce qui soutient la place
de l’analyste. Ceci exige une rigueur de l’analyste contrôleur qui ne vous
laisse pas dériver vers l’association libre, épuisée dans la cure elle-même.
L’exposition publique de sa pratique a aussi valeur de contrôle, mais
s’adresser à un public reste différent de la sollicitation d’un psychanalyste
qui engage son écoute, sa « super audition » pour reprendre le terme
proposé par Lacan pour remplacer celui de supervision adopté par l’IPA. Est-ce
à dire que l’on attend du contrôleur qu’il entende ce que l’analyste n’a pas
entendu ? Encore faut-il que le récit du contrôlant s’y prête. De celui
qui rapporte les séances au détail près de ce qu’il a noté, à celui qui
généralise le cas au point que rien ne s’aperçoit de sa mise, l’écart est grand.
Et le contrôleur, s’il veut rester à la hauteur de l’acte analytique, tout en n’étant
pas l’analyste du contrôlé, devra faire préciser tel détail, questionner le
parti pris d’un silence ou d’une position.
Le diagnostic symptomatique ne devient secondaire qu’à la condition
d’avoir été fermement exploré dans les entretiens préliminaires. L’épinglage en
terme de structure, ne s’impose que pour
adapter la réponse à la demande et proportionner son action. Y a-t-il des
points d’énigme pour tel sujet et sa réponse est-elle perplexité ou supposition
de savoir quant au savoir de l’Autre ? La question diagnostique n’était
plus pour moi au cœur de cette expérience de contrôle, mais elle accompagnait
la recherche d’une authenticité et d’une légitimité de la cause analytique
ainsi que la construction de sa raison.
Autrement dit, comment poursuivre, au plus serré, la quête de ce réel
en jeu pour chacun et qui justifie que l’interprétation analytique, par le
dispositif même du transfert, le mette en perspective si on l’engage de la
bonne manière. Le traitement de la plainte pour qu’elle devienne une demande
d’interprétation par le sujet-supposé-savoir, la mobilisation des signifiants
identificatoires, leur déplacement pour obtenir des effets thérapeutiques essentiels
dans l’enjeu d’une cure analytique dégagent le terrain qui permet le traitement
de la jouissance qui accompagne le sujet dans son maniement des objets.
Il ne s’agit plus d’un savoir supposé à l’analyste ou au contrôleur
mais de la répartie attendue d’un échange avec celui (le contrôleur, donc ?) que l’on aura surpris, intéressé ou
ennuyé. Il m’est arrivé de recevoir du contrôleur une indication qui me faisait
saisir la logique de mon discours et me permettait de ne pas en tenir compte
dans la cure contrôlée. Ceci pour souligner que l’éclairage donné par le
contrôle ne vise qu’à donner les instruments pour soutenir l’acte analytique.
Il ne s’agit pas d’appliquer une consigne qui serait donnée par un autre,
caricature faite du contrôle quand on cherche à démontrer que les analystes
s’auto-reproduisent par identification.
La séance de contrôle se
prépare-t-elle ? L’association libre ne suffit
pas, sauf à poursuivre la cure psychanalytique sous d’autres formes. Il ne
s’agit pas non plus, dans la séance de contrôle, d’une pure interrogation, qui
ferait de l’analyste un sachant répondre à toutes questions de technique. Cela
n’empêche pas de venir avec une question, c’est même le ressort d’un contrôle
qui se poursuit. Soutenir le travail analysant, c’est aussi supporter la
fonction, la place qu’un sujet dans le transfert vous a attribuée, fut-elle
pour l’accompagner au long de son existence. Ceci n’est pas toujours de tout
repos et le contrôleur peut pointer à l’occasion que l’analyste n’est pas aussi destitué qu’il l’avance (Une question te
sera certainement posée à propos de cette « destitution » – non
advenue ou inachevée ?).
La poursuite du contrôle est la réponse adéquate à la praxis analytique
contemporaine. Le repérage diagnostique n’a plus la même tonalité que celui qui
consistait à débusquer la psychose quand elle se cache sous les apparences de
la névrose : une inhibition insistante, des phobies qui n’en sont pas, une
angoisse de morcellement qui ne relève d’une anatomie inconsciente, une
dépersonnalisation plus proche de la rupture du lien social que d’un sentiment
d’étrangeté du rapport au monde.
La clinique contemporaine, tant celle des dits nouveaux symptômes à
toujours actualiser que celle des solutions auxquelles les sujets ont recours,
nous contraint à proportionner l’acte à la demande qui est faite. Il ne s’agit
pas seulement du tri des demandes qui ne relèveraient pas de la pratique de la
psychanalyse – encore faut-il savoir le faire quand il apparaît qu’une offre de
parole est dommageable pour le sujet –, mais de recevoir la demande qui nous
est faite en prenant en compte la faille symbolique structurelle au cœur de
tout discours humain. C’est cette faille qui fera la limite, mais aussi
constituera la clé d’une solution à venir. C’est le réel de cette faille que
l’analysant explore et, de cette exploration, il fait son analyse, découvre la
manière dont les identifications, puis les symptômes, sont autant de façons
pour le sujet de ne pas s’y résorber
(pas clair, me semble-t-il).
Ce travail de dentellière que fait l’analysant ou l’analysante nécessite
un accompagnement de l’analyste qui puisse remarquer les points qui sautent,
les trous trop lâches ou absents que ses interventions vont assurer (???), par son interprétation,
son acte. L’activité de contrôle a pour moi cette fonction. Qu’il s’agisse
d’une séance ponctuelle d’un cas ponctuel ou du suivi d’une orientation à
travers plusieurs séances d’analyse, voire de séquences plus longues, je
cherche non pas l’assentiment de l’analyste (du contrôleur ?) sur le mode : « c’est bien vous
qui l’avez dit », mais une réponse à la hauteur du réel en jeu.
« La vérité est que Lacan , qui disait, contrairement à Freud, que
les analyses finissent, nous a en même temps lancé sur le chemin d’une
formation dont c’est trop peu dire qu’elle est permanente : elle est
infinie. »[2]