Question d’École
Problèmes cruciaux du contrôle et de la passe
24 janvier 2015
Après plusieurs
années de contrôle avec deux analystes différents, cette proposition
d’intervention me conduit à m’interroger sur mon expérience de « contrôlée »
et me fait en dégager quelques moments particuliers. Si l’analyse avait
répondu à une urgence subjective devenue impossible à supporter, le contrôle
s’était imposé plus tard quand je fus confrontée, au début de ma pratique de
psychologue, à la solitude dans l’acte et aux conséquences de la parole dans la
rencontre avec des patients.
L’analyse et le contrôle
L’analyse était
le lieu d’une parole qui me permettait de traiter mes embrouilles avec le corps,
l’amour, le sexe et la mort, avec son lot de répétitions, de surprises et de
découvertes. Si la quête de vérité – dont la structure de fiction ne m’était
pas encore apparue – et l’exigence de bien-dire y étaient à l’œuvre, la
rencontre avec le contrôle fit effraction. Quelle porte avais-je poussée qui me
laissait ainsi désemparée face à ces cas que je présentais régulièrement ?
Comment comprendre que, malgré les nombreuses notes écrites, le texte finissait
pourtant par s’effacer dès que j’entrais dans le cabinet du contrôleur ?
Cette inquiétude première que j’attribuais à mon non-savoir, mes maladresses de
débutante dans la pratique, n’était que la face visible d’une angoisse que je
connaissais bien, celle que déclenchait toute prise de parole hors d’un cadre
familier. Le dispositif du contrôle m’extrayait de mon théâtre intime et me
poussait à parler à partir d’une place mal assurée qui reposait pourtant sur un
trépied solide : l’analyste, le contrôleur et l’analysante. La
responsabilité quant à l’acte avait été aux principes de ma demande de contrôle ;
elle était aussi aux commandes de l’inhibition qui me faisait vaciller devant
chaque séance.
Qu’est-ce qui se
jouait alors ?
Présenter un cas
au contrôleur impliquait une double temporalité : celle, antérieure au
contrôle, qui allait de l’écoute du sujet rencontré et de l’écriture des notes,
et celle qui se précipitait dans le temps du contrôle donnant à la parole un
poids considérable. Au début, cela participa de mon inhibition. Cette rencontre
avec la castration, le trou dans le savoir, qui n’échappait pas au travail
analytique, se dénudait dans le contrôle et touchait au réel de la psychanalyse.
Rien ne me
paraissait m’exposer davantage que cette parole prise durant le contrôle. Je
n’en trouvais pas d’équivalent. Là où l’analyse me permettait d’avancer pas à
pas avec l’inconscient transférentiel et d’extraire, dans une temporalité rythmée
par les séances, les coordonnées de ma jouissance, le contrôle faisait figure
de tsunami. L’instant de voir et le
temps pour comprendre se condensaient dans la présentation du cas, l’exposé de
mes impasses, de mes questions et d’un point de perplexité en attente d’une
remarque, d’une interprétation ou d’un éclaircissement. C’était une épreuve
dont je me réjouissais pourtant à chaque fois…en sortant !
Cette difficulté
subjective relevait de mon rapport à l’écrit et à la parole. Dans l’expérience analytique
j’avais mis en lumière certaines coordonnées de mon rapport à l’Autre, qui
faisaient de l’écriture un bricolage symptomatique pour éviter une prise de
parole qui m’était difficile. L’attachement à l’écrit que je produisais pour la
séance de contrôle restait marqué par cette empreinte. Avec le contrôle,
et au-delà de l’analyse, la place que j’accordais à l’écrit était touchée : il
fallait lâcher, baisser la garde, dire et dévoiler. La défense était dérangée ;
mais n’étais-je pas venue en contrôle pour qu’au delà de l’élaboration du cas
et des effets attendus sur ma pratique,
se dégage le désir de l’analyste, encore imprécis, mais qui faisait mon horizon
logique ?
Une surprise dans le contrôle
Ma nomination
comme membre de l’Ecole modifia mon engagement dans le contrôle. Un nouveau
nouage entre le savoir et mon transfert à l’Ecole s’était écrit. Il se faisait
dans l’enthousiasme pour le nouveau, l’inédit et il se dégageait des effets
imaginaires qui m’avaient encombrée jusqu’alors. Le désir de l’analyste était
cette fois en question. L’inhibition s’estompait, le rapport à l’angoisse
aussi.
Le style même du
contrôle se transforma. Je me surpris lors d’une séance à ne pas présenter le
cas que j’avais prévu et écrit, pour parler de ce qui me mettait dans
l’embarras. Cela s’était imposé sur un mode fulgurant. A l’instant même de la
prise de parole, je pus dire mes impasses, et ce qui m’avait mise cependant au
travail mais dont je n’avais pas parlé en contrôle, évitant ainsi d’en passer par
la parole et maintenant une impuissance à dire. Face à ce réel, la décision
imprévue qui avait surgi eut un effet de soulagement éprouvé dans le corps. L’hésitation
s’était dissipée dans un éclair et ce n’est que dans l’après-coup que j’en mesurai
les conséquences. J’avais consenti à m’approcher du trou du réel et la parole
s’était dégagée du soutien de l’écrit. Par ce franchissement, une barrière
avait chuté qui séparait mon rapport à l’écrit de la parole. Là où le goût pour
la recherche d’un ordonnancement des mots avait été aux commandes c’est le
contrôle, comme improvisation, qui s’était imposé. La parole retenue se
trouvait libérée et l’écrit ne disait plus le tout du sujet. J’inscrivais ce
moment au registre du désir de
l’analyste.
J’avais pris goût
à la parole dans le contrôle : non seulement j’entendais mieux les
ponctuations du contrôleur, ses petites phrases, ses quelques mots prononcés
parfois à la fin d’une séance, mais ils faisaient trace et cristallisaient le
transfert de travail. Ce n’était pas un guide de bonne conduite mais une façon
de me déloger de ma position prise avec l’analysant dont je parlais. La lecture
de mon écrit, « écrit de parole »[1],
laissait place à l’écrit dans la parole qui avait à voir avec la dimension de
la lettre dans l’inconscient de l’analysant. J’entendais mieux ce qui restait
insu dans la conduite de l’analyse. Cette ignorance me permettait d’occuper
autrement ma place d’analyste et de pouvoir lire la singularité de chacun.
Ce pas de côté écartait
l’analyste en fonction de l’automaton
et ouvrait alors à l’invention, jamais garantie ni assurée, en misant sur la
contingence comme rupture avec le connu. Il restait l’impossible à dire qui
tenait au réel.
Effets de formation
Le contrôle apporta deux effets de formation
qui sont devenus ma boussole. Le premier m’a permis de m’écarter de la
fascination pour « l’écrit de parole » et de consentir à occuper la
place de semblant d’objet a pour
l’analysant. Je me dégageais de l’énonciation du sujet et du déploiement de la
chaîne signifiante, là où la quête de sens exerçait parfois une fascination. C’était
la jouissance ignorée de l’analysant qui était dès lors visée. Le second
modifia radicalement ma place et mes interventions. Á la suite d’une remarque
de mon contrôleur, à propos d’un cas difficile, je l’entendis me
dire : « Vous parlez trop ! » La nécessité de se taire
m’apparut alors dans toute son évidence. Je me croyais silencieuse, j’étais
bavarde ! Ce fut là une ponctuation qui m’ébranla et qui révéla, à chaque fois, son absolue
efficacité.
Dans la solitude
de la rencontre, là où le sujet est exilé de la langue, c’est de la trace de
cette rencontre que le sujet peut faire usage pour accepter un savoir inédit. Le
contrôle peut le permettre, pas sans l’analyse ni l’orientation vers le réel.
Il faut encore y consentir ; cela demande du temps, des achoppements, des
trébuchements, et l’ouvrage est toujours à remettre sur le métier. La joie que
je trouve dans ce travail, toujours à recommencer, fait signe qu’il est la voie d’accès à l’élucidation de
ma pratique. C’est un possible auquel je tiens. Je poursuis.
[1] Miller J.-A., « L’orientation
lacanienne. L’Être et l’Un », enseignement prononcé dans le cadre du
département de psychanalyse de l’université Paris VIII, leçon du 23 mars 2011,
inédit.