Nora Grupalli |
Quel est le ressort de
l’opération produite par le contrôle ? Il y faut un transfert du
contrôlant vers le contrôleur et, au-delà, vers le discours analytique.
Le contrôle n’est pas une
pédagogie, même s’il a des effets d’enseignement. Ce n’est pas non plus
l’apprentissage d’une technique thérapeutique, c’est un effet du discours
analytique. Pour autant, ce n’est pas l’analyse. La réponse du patient aux
effets de la nouvelle lecture de son cas valide l’effet du contrôle. Voyons
cela à partir d’un cas.
Louis, homme jeune au
parcours professionnel brillant, est
venu consulter après un passage par lesurgences. Lors d’une crise d’angoisse
massive, il est tombé.Cela l’a rendu mutique un moment. Épuisé, il se sentait
réduit à n’être plus qu’une lavette.C’est
son mot.
Peu avant, il a été
arrêté dans son élan sur le plan professionnel,parce que le soutien de son
supérieurhiérarchiquelui a fait défaut. Cette déconvenue a renforcé, du même
coup, la souffrance éprouvée vis à vis de son partenaire qui répond peu à sa
forte demande d’amour.
Lors dela seconde séance,
j’ai établi un lien entre son angoisse invalidante et un événement majeur de
son enfance. Il parlait et s’agitait toujours beaucoup, jusqu’au jour où son
père lui a lancéd’un ton agacé : « Ça suffit, Louisette! » En
larmes, il s’est réfugié pendant deux jours dans sa chambre, sans parler. Il a
ensuite discipliné son corps, afin d’effacer tout trait féminin.
La
crise d’angoisse qui vous a mis au sol équivaut à ce qui vous est arrivé dans
l’enfance à la suite de la phrase cinglante de votre père, lui ai-je dit.
Inscrire le dam éprouvé sur
le plan professionnel dans une logique signifiante a permis à Louis de
retrouver rapidement des forces. En réponse à sa question,je l’ai encouragé à
rester dans son métier. Son transfert a étéd’emblée massif.
Comment manœuvrer face à
la demande pressante de Louis qui s’exprimaitsur fond d’une fragilité contrastant
avec un parcours professionnel remarquable ? Et comment tenir la corde de
l’analyse sans se laisser endormirpar la satisfaction liée aux effets
thérapeutiques ? Ce sont là les questions qui m’ont amenée à en parler en
contrôle.
Premier
signifiant clé du cas
Le contrôle a fait
apparaître combien Louis a trouvé une « personnalité » dans sa
profession, pour se défendre d’être la « Louisette » du père. Il a également
posé la question du lien sinthomatiqueavec
son partenaire,par lequel, sans le savoir, le sujet donne peut-être corps à
cette injure paternelle.
Ce premier temps du
contrôle, lumineux, m’adonc conduiteà soutenir l’« ego »de cet homme,
tout en interrogeant ce qui fait symptôme dans sa relation homosexuelle.
Louis s’est plaintde
manquer de confiance en lui.
Je lui ai répondu :
« Mais à partir des responsabilités
que vous avez exercées vous pourriez écrire des orientations et des
propositions. »
Il a alors décidé
d’écrire des articles pour ses collègues. Son expression plus personnelle l’a
surpris, elle tranchaitavec son style habituellement très poli. J’ai réfréné cependant son élan, lorsqu’il a ététenté de
céder à l’invitation d’une amie qui lui proposait d’écrireet, par làmême, de
dénoncer, ce qu’il avait subi à son travail. D’autre part, alors qu’il estimait
avoir menti, je lui ai confirmé combien il a eu raison de dire non, alors que
quelqu’un le provoquait en public à dévoiler son homosexualité.
Parallèlement, il se
plaignait de son ami qui le malmenait en lui donnant peu de signes d’amour,
alors que lui-même en donnaitbeaucoup.
Je lui ai alors
dit : « Vous pourriez lui
manquer un peu. Qu’est-ce qui vous oblige à rester dans cette position de
demande ? »À la séance suivante, Louiss’est demandépourquoi il tenaiten
effet tant à cette relation malgré la souffrance qu’elle engendrait depuis
plusieurs années.
Réveil
Quelques temps plus tard,
j’ai déplié en contrôle une séance avec Louis en me sentant encombrée.
Le contrôleur est
intervenu en disant : Pourquoi
parlez-vous autant ? Vous aimez trop ce patient, c’est un séducteur !
Est-il un séducteur ou ai-je
été séduite ? Choisir la seconde option m’a permisde saisir, au delà de la
séduction qu’a pu exercer le discours de Louis, à quelsminuscules traits du
patient s’est accrochée ma fascination. J’aiaussitôt mis celaau travail dans
mon analyse.
Moment crucial !Il
m’a fallu pouvoir évider l’objet « cause de jouissance » qui m’agitait
et me divisait en écoutant Louis, afin de pouvoir occuper, pour lui, la place
d’objet « cause du désir » dans sa cure.
Dans le même mouvement
d’ouverture, j’ai décidé d’aller parler de ce cas à un autre contrôleur, car
mon contrôleur était aussi mon analyste. La séparation des lieux de l’analyse
et du contrôles’est imposée à moi dans ce cas précis.
Très vite,je n’ai plus
été encombrée par rapport au travail d’analyse de Louis. L’allègement a tenu, à
la fois, à l’analyse de ce qui m’encombrait et au fait d’avoir pu parler, en
parallèle, à un autre contrôleur.
J’ai été très sensible au
style sans état d’âme du second contrôleur que je n’ai vu qu’une fois.
Il a insisté sur la
nécessité de faire repérer au sujet ce qu’il méconnaissait de son désir.
Ce sujet veut en effetqu’on
le reconnaisse et qu’on lui donne. Il vit dans un monde inconsistant de femmes
et de doubles.
Le premier effet de ce
temps de rectification subjective a été de couper les séances avec Louis de
façon plus décisive, sans en dire trop.
M’est alors venue cette pensée:
J’écoutais une mélodie, maintenant je lisune partition.
Ainsi quand Louis m’a dit
qu’il a ressenti récemment, en sortant de chez son ami, un agrément certain à
se promener seul dans la ville, j’ai coupé la séance. Il est revenu la séance
suivante en disant: « Je me demande
si j’ai vraiment envie d’être engagé dans une relation, et pourtant je ne cesse
de le lui demander,de s’engager. »
Suivre
la jouissance à la trace
J’apporte en contrôle un
cauchemar de Louis : « Des rats
m’attaquaient et je hurlais, d’un hurlement qui réveillait toute la maison. A
l’adolescence mon père entrait dans ma chambre, me demandait ce qui se passait
et je me rendormais. Ça m’est arrivé 4 fois ces dernières années : je crie
très fort. C’est un cri strident, terrible, différent du hurlement de
l’adolescence. »
Je l’ai interrogé sur ce
cri, différent de l’appel au père dans le hurlement de l’adolescence. Il a
associé ses cris à la mauvaise
conscience.
« J’ai toujours l’impression de ne pas
travailler assez, dit-il.C’est en
lien aussi avec l’homosexualité. C’est une mauvaise conscience, mais c’est
aussi une conscience mauvaise. »
Je lui ai alors
demandé : « Mais qu’est-ce qui
mériterait une telle férocité ? »Coupure de la séance.Il a ajouté :
« Je n’ai pas à m’excuser de ce que
je suis ! »
Le contrôleur a fait
résonner le signifiant « rats », opaque et peut-être condensateur de
la jouissance du sujet.
D’où, changement de cap
dans mes interventions !
Une séance où Louis a
évoqué ses nuits « intranquilles »m’a permisde revenir sur les rats.
Il m’a alors appris qu’il
a une phobie des rats depuis l’enfance. Le lien au père est apparu très vite,
avec des ruptures dans le style d’énonciation oùtransparaissait une forte
jouissance. Lui, si poli, pouvait donc être grossier. Dès lors, outre les
coupures, j’ai ponctuéses propos et interrogé à la foisson rapport aux
conditions d’amour qu’il a ainsi pu déclineravec précision, et son rapportau
corps.
Il a alors racontéune
scène qui a précédé la crise d’angoisse l’ayant amené en analyse. Juste avant
la mutation professionnelle à laquelle il a été contraint, Louis s’était fait
opérer des hémorroïdes. Une fois rentré chez lui, il a fait une hémorragie
pendant la nuit. Il est tombé et s’est retrouvé rampant au pied de son
lit.« Une serpillère ! »,
a-t-il dit.
Je lui ai juste dit « Ce fait est important », et j’ai
coupé la séance.
Louis n’est pas allé plus
loin dans son récit: D’une part, il était persuadé qu’il m’en avait déjà parlé.
Et, d’autre part, il a commencé la séance suivante en disant qu’il ne se souvenait
pas de ce sur quoi nous nous étionsarrêtés. En revanche, il a affirmé se
soumettremoins aux caprices de son ami.
Il m’a ensuite fait part
d’un rêve :« La sœur de mon ami
me téléphone, pour me dire qu’il est mort, il s’est coupé les veines. »
Dans ses associations, il
a alors évoqué un de ses doubles, avec qui il a eu récemmentun désaccord
d’ordre professionnel. Cela l’a angoissé.
C’est un homme à l’avis tranché,a-t-il dit.
« La vie tranchée ? », lui ai-je
alors rétorqué.
Il a ajouté :
« Je ne peux pas me passer de lui,
c’est un frère. Mes rapports avec mes amis, avec ma sœur aussi, c’est de la
gémellité. »
Au plus fort deleur
différend, Louis adonc tranché, mais avec angoisse.
« C’est essentiel que vous ayez pu maintenir
votre position ! », lui ai-je fait remarquer.
« Oui, mais, toute la journée, j’ai angoissé,
parce qu’il(celui qu’il appelle : un frère)ne me répondait plus. Il avait juste oublié son portable. »
Effets
du contrôle
Une orientation s’est ainsidéduite
du contrôle :
Border le trou à rats
pour que Louis reste à distance de Louisette, car si celle-ci s’incarne trop,
il tombe ; aérer le tissage dela gémellité pour qu’il puisse trancher,
sans craindre de perdre ces recours imaginaires vitaux, ou de mourir ; lui
faire savoir ce qu’il méconnaît, notamment dans le lien à son partenaire et
dans sa vie professionnelle.
Pour que ce repérage ait
une incidence sur ma façon d’intervenir, il a fallu,en analyse et non en
contrôle, travailler la cause de mon penchant à animer l’autre.
J’interviens désormais sur
un mode plus économique, et plus incisif, ce qui laisse place au travail de
Louis.
Il parle peu de sa vie
professionnelle à présent. Il s’interroge sur ses choix intimes, notamment sur
le plan sexuel, et sur sa demande d’amour infinie.